mercredi, janvier 04, 2006

Le 16 avril O Cebreiro. Les nuages

Villa de Franca -O Cebreiro.
28 km à 150 km de Compostelle

J’entreprends une montée particulièrement abrupte, probablement l’ascension la plus difficile du camino. Elle ne me fait pas peur parce que je suis en bonne forme physique, je peux monter pendant très longtemps sans ressentir de fatigue. Je rejoins Cyros et Pépé qui vont moins vite que d’habitude.

compostelle
On s’arrête un instant pour prendre de l’eau. Je regarde le paysage, la forêt a été transformée en un jardin de fleurs sauvages, il n’y a pas beaucoup d’arbres dans cette région. Cyros me dit que les Espagnols ont coupé massivement leurs forêts pour construire une impressionnante flotte de bateaux afin de faire la guerre à l’Angleterre. Ils voulaient construire un empire, ils ont détruit leurs forêts. Ils pensaient que c’était une ressource inépuisable. Et bien, ils se sont trompés ; 300 ans plus tard, il n’y a toujours pas d’arbres dans ces montagnes.

— Qu’est-il advenu de leurs bateaux ?

Cyros me lance un regard amusé, puis il me répond : « tous coulés par les guerres ».

La prochaine montée dure 4 heures. J’arrive à une hauteur où une épaisse couche de brouillard se trouve au-dessus de ma tête. Je monte le sentier et je disparais dans une épaisse brume.

compostelle
Quand j’étais enfant, je pensais que les nuages étaient une matière solide qui flottait dans le ciel. J’imaginais un jour pouvoir m’asseoir dessus et voyager à travers le monde.

On ne cogne pas sur un nuage, on le traverse. Il est désormais impossible de suivre les flèches jaunes. Je perds mon assurance, mes pas deviennent incertains et pour me guider, je dois regarder le sentier. J’essaie de ne pas perdre de vue les pèlerins qui sont en avant de moi, nous formons une espèce de chaîne humaine jusqu’au sommet de la montagne.

Je rejoins un pèlerin, c’est Tom, l’un des deux Anglais avec qui je me suis perdu sur la route vers Villa de Franca. Il est vraiment mal-en-point, il est essoufflé et marche avec sa main dans le dos. Je m’assure qu’il va bien et je continue. Plus haut, j’aperçois son meilleur ami, John assis sur une roche en train de fumer la pipe. Lorsque j’arrive à sa hauteur, j’éclate de rire. Il me salue sourire en coin. Décidément, ce sont vraiment de bons amis !

Le vent est de plus en plus fort, bientôt, il va neiger, il fait froid, j’accélère le pas.

Au sommet, un chien fait une sieste sur la muraille qui entoure le village. Je trouve ça bizarre parce qu’il est évident qu’une tempête se prépare. Pourquoi ne va-t-il pas se cacher ?

compostelle
O Cebreiro est un village du XIV siècle très bien conservé. On y retrouve une église où il y a eu un miracle. L’histoire d’un paysan qui affronta une terrible tempête pour aller à la messe. Lorsqu’il arriva à la chapelle, le moine de peu de foi s’est dit à lui-même :¨faut-il être bête, pour faire tout ce chemin pour un peu de vin et de pain¨ aussitôt, le pain se transforma en vraie chair et le vin en vrai sang.¨

Il n’est pas rare de voir qu’un miracle survenu il y a longtemps contribue au développement économique d’une région. Il y a six restaurants à O Cebreiro pour une population de moins de cent habitants.

Je pense que les hommes ont soif de spectaculaire. Ils veulent voir des miracles pour avoir la preuve que Dieu existe. Ils se rassemblent en grand nombre, souvent par curiosité, pour vérifier le miracle qui leur confirmera l’existence de Dieu. Alors, après avoir cru au miracle, ils se prosternent et rendent gloire à Dieu. Mais, quel genre de foi est-ce cela ?

J’ai deux enfants que j’aime profondément et la dernière chose que je veux, c’est qu’il se prosterne devant moi pour m’adorer. Non, ce que je veux comme père, c’est qu’ils grandissent et qu’ils deviennent des adultes épanouis. Et je fais tout ce que je peux pour les aider à y parvenir.

Si moi, père imparfait, désire que mes enfants deviennent des adultes épanouis, qu'est-ce que Dieu peut bien vouloir pour les hommes ? Peut-être veut-il que nous grandissions comme être humain et que nous soyons heureux. Peut-être amène-t-il dans notre vie toutes sortes de choses afin de nous aider à y parvenir. Peut-être devrions-nous avoir confiance et le chercher dans toute chose qui nous amène à être une meilleur personne.

La nuit tombe. Il neige dehors et le vent souffle fort. Heureusement que l’auberge est chauffée. Je tombe profondément endormi.