mercredi, janvier 11, 2006

Le 9 avril Mansilla de la Mulas. Victor

Le 9 avril Sahagun – Mansilla de la Mulas.
38 kilomètres

Aujourd’hui, c’est Vendredi Saint, tous les commerces sont fermés. Je n’ai pas fait de provision et je dois marcher 38 kilomètres pour arriver à la prochaine auberge. Il me reste deux gommes à mâcher et un morceau de pain. C’est peu considérant l’énergie que je dois dépenser.


Lorsqu’on marche, on n’a jamais faim, on a soif, mais on ne ressent pas la faim. C’est pourquoi, je décide de ne pas faire de longue pause. Je ne veux pas que la faim se manifeste, je bois beaucoup d’eau afin de garder mon estomac plein.

La marche est monotone, je suis un long sentier droit à côté duquel on a planté des arbres à tous les 9 pieds. Pour combattre l’ennui, je marche avec une cadence rapide et un rythme constant.

Je croise une Allemande que j’ai rencontrée, il y a une dizaine de jours, elle boite, elle ne marche plus avec son chum, car dit-elle, ils se sont séparés, son amoureux marchant trop vite pour elle. Elle voyage maintenant avec une amie qu’elle s’est faite à l’auberge. Je trouve bizarre que son chum n’ait pas voulu ralentir sa cadence. Après tout, elle l’avait suivi pendant 400 kilomètres à son rythme. Maintenant que sa blessure l’empêche de suivre sa cadence, il la laisse derrière. Cette situation lui a permise de découvrir son chum telle qu’il est . Et s’ils étaient mariés et qu’elle avait eu le cancer, l’aurait-il accompagné dans sa maladie ? Il aurait bien fallu qu’il ralentisse sa course, non ?

À la fin de la journée, la chaleur de mon corps ne suffit plus à huiler la machine. J’ai mal aux genoux et il me reste 6 kilomètres. Cette journée de 8 heures de marche sans arrêt développera une minuscule ampoule. Elle m’aura appris également les limites de mon corps. Ma limite, c’est 38 kilomètres de marche en huit heures. Voilà !

Arrivée à destination, ma seule préoccupation est de manger, j’ai faim, très faim et il me faut trouver un restaurant. Cyrus le Suisse sait où on peut trouver un restaurant ouvert ! je vais avec lui remplir mon estomac qui crie famine.

Entré à l’auberge, Jean le Pyrénéen se détend au soleil. Il me dit qu’il aimerait bien trouver un endroit pour inscrire son nom afin qu’il puisse le retrouver lors de son prochain pèlerinage. Nous pensons à divers endroits. Prémonition pour ce qui allait suivre !

Je décide d’aller à la messe. Encore une fois, l’église est remplie à craquer, une foule de 500 personnes y est présente. Il ne reste que deux places de libres. Elles sont situées à l’arrière à l’avant-dernier banc. Je m’assois et j’écoute la messe. Une dame arrive, je me déplace à gauche d’une place. L’église est maintenant remplie à pleine capacité. Je regarde devant moi, je remarque que quelqu’un a gravé avec un couteau le nom d’une personne. Je lis ce nom, c’est écrit ¨ VICTOR¨. Je n’arrive pas à le croire, je me frotte les yeux ! c’est très clairement écrit ¨ VICTOR ¨, un nom russe peu courant en Espagne.

Ma voisine, qui remarque mon étonnement, me demande si je parle allemand, je lui réponds que non, puis je lui montre le nom de Victor et je lui dis, en anglais, que c’est le nom de mon père. Elle sort ses lunettes pour regarder l’inscription puis elle me sourit.

Après la messe, avec mon ongle, j’écris : " EM " pour Éric Morin en dessous de VICTOR.

Les mathématiciens, à vos calculatrices. Quelle est la chance que je vois inscrit le nom de mon père à la place où je dois m’asseoir dans une église en Espagne ?

compostelle